Daphné et le Gâteau Parfait
Il était une fois, au royaume de Pie d’Agneau, une petite fille prénommée Daphné qui vivait à la ferme parmi les vaches. Daphné était fière de ses vaches, car elles donnaient le meilleur lait du royaume, mais elle avait aussi un peu de peine, parce qu’elle portait toute la journée des sabots de bois crottés. Elle aurait mieux aimé porter de jolis souliers de soie, mais ils n’étaient pas propices aux travaux des champs, et Daphné allait en sabots en rêvant de souliers.
Un beau jour, le roi Brioche en son château eut l’idée de faire un gâteau, mais pas n’importe quel gâteau : il voulait un gâteau parfait, le plus délicieux qu’on eut jamais mangé à Pie d’Agneau. Pour cela, il fit quérir les meilleurs ingrédients du royaume : la farine la plus fine, du miel butiné des plus belles fleurs, des oeufs si frais qu’ils étaient encore tièdes, et bien sûr, le lait des vaches de la ferme de Daphné.
Un messager du roi vint à la ferme annoncer la nouvelle, et Daphné partit le lendemain à l’aube, emportant une bouteille de lait dans son baluchon.
Chemin faisant, Daphné croisa l’étal d’un cordonnier et s’arrêta pour admirer les chaussures.
« Bonjour jeune demoiselle, lui dit le cordonnier, voulez-vous essayer une paire de souliers ? »
« Hélas, je ne peux pas, répondit Daphné. Je dois porter cette bouteille de lait frais au château du roi Brioche, car il prépare le meilleur gâteau jamais mangé. Si je m’arrête en chemin, le lait pourrait tourner ! »
Le cordonnier, qui avait une dent contre le roi Brioche depuis que celui-ci ne portait plus ses chaussures, entreprit de mettre Daphné en retard.
« Oh, ce sera vite fait, lui dit l’odieux fripon. Regardez cette paire, tissée en fils d’argent. N’est-elle pas ravissante ? Et c’est, je crois, votre pointure… »
Daphné en convint : la paire était superbe. Elle se promit de n’en essayer qu’une, et s’assit pour enlever ses sabots.
Une chose en amenant une autre, Daphné essaya toutes les chaussures du cordonnier : bottines en cuir d’Italie, escarpins à la mode de Paris, sandales gréco-romaines, pantoufles pour la fin de semaine, tongs des plages du Mexique, patins artistiques, baskets multicolores et talons hauts pour faire du sport.
Des heures plus tard, Daphné s’aperçut que le soleil avait commencé de descendre, et que la nuit tomberait bientôt. « Catastrophe ! s’écria-t-elle. Le roi Brioche m’attend : je dois partir sur le champ ! »
Elle enfila sa vieille paire de sabots et pris ses jambes à son cou, filant aussi vite qu’elle le put en direction du château. Ses sabots la gênaient beaucoup dans sa course, mais elle se hâta tant qu’elle arriva avant la fin du jour.
Au pied du grand escalier du donjon royal, Daphné jeta un coup d’oeil dans son sac. Horreur ! Pendant sa course folle, le lait avait coulé, et il ne restait plus qu’une crème épaisse au fond du sac de toile. Hélas, il était trop tard pour retourner à la ferme chercher une autre bouteille. Au désespoir, Daphné hésitait entre avouer son étourderie au roi et rentrer chez elle sans rien dire à personne, quand il lui vint une idée…
Quelques minutes plus tard, elle arriva au sommet du donjon. Le roi Brioche, dès qu’il l’aperçut, courut à sa rencontre, car il n’attendait qu’elle pour commencer sa recette. « Vite, vite, le lait ! » criait le roi. Daphné lui tendit le sac d’une main tremblante, en regardant ses sabots crottés pour ne pas croiser son regard.
« Mais qu’est-ce que c’est ? Mais c’est du beurre ! » s’exclama le roi. En effet, en montant l’escalier, Daphné avait secoué, battu et fouetté la crème de toutes ses forces. Le petit lait s’était égoutté, et les morceaux restants s’étaient agrégés en une belle motte de beurre blond.
« En voilà une bonne idée ! dit le roi. Du beurre dans mon gâteau. Il n’en sera que meilleur, plus onctueux et délicieux. »
Daphné, soulagée, ajouta d’un trait : « Oui monseigneur, et c’est du beurre frais d’aujourd’hui, fait avec le meilleur lait du royaume ! »
« C’est formidable », dit le roi, qui n’avait jamais goûté de beurre aussi bon. Il remarqua alors les pieds de Daphné tout abîmés par ses sabots de bois. « Pour ta peine, mon maître-cordonnier te fera ce soir même une paire de souliers sur mesure, parole de Brioche ! »
Daphné se fit faire des ballerines en soie, cousues de fils d’or, brodées de tout petits saphirs, aux pointes ornées d’une large perle-pompon et aux semelles doublées de fourrure en plumeau d’oie sauvage. Elle les porta fièrement sur le chemin qui la ramenait à sa ferme et à ses vaches, emportant dans son baluchon ses vieux sabots crottés.